Licenciement : quand les faits reprochés relèvent de la vie personnelle…

La Cour d’Appel d’Amiens a eu l’occasion de rendre une décision, qui a le mérite de rappeler le cadre juridique lorsqu’un salarié a un comportement répréhensible en dehors de son temps de travail.

Les faits sont les suivants : Une salariée, embauchée en qualité d’ « équipière de commerce secteur caisse » au sein d’un Supermarché X depuis un peu plus de 4 ans, a commis un vol dans un Hypermarché relevant du même groupe que X.A la suite d’une procédure disciplinaire, cette salariée s’est vue notifiée un licenciement pour faute grave au motif qu’elle a eu un comportement allant « à l’encontre des procédures en vigueur dans l’entreprise et des tâches qui [lui] sont confiées » et nuisant au fonctionnement de l’entreprise. L’employeur se fonde notamment sur le non-respect des règles de discipline issues du Règlement Intérieur de l’entreprise pour constater un manquement à ses obligations contractuelles, c’est-à-dire les obligations issues de son contrat de travail. Plus exactement, l’article 16 de ce règlement indique « tout salarié, quelle que soit sa position hiérarchique est responsable des tâches qui lui sont confiées ». Selon l’argument de son employeur, sa responsabilité, « comme celle de l’ensemble des collaborateurs de [son] entreprise, est d’assurer la limitation du taux de démarque inconnue et d’adopter un comportement exemplaire».

Dans un arrêt du 23 octobre 2024, la Cour d’appel d’Amiens a reconnu ce licenciement sans cause réelle et sérieuse. Pour juger ce licenciement injustifié, elle s’est appuyée sur l’article L. 1121-1 du Code du travail précisant que « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » et à ce titre, les juges ont fait le constat suivant :

  • Les faits de vol reprochés par l’employeur sont survenus « hors des lieu et temps de travail, soit pendant un temps consacré à sa vie personnelle ».
  • « Même si elles appartiennent au même groupe et à la même unité économique et sociale », le Supermarché X et l’Hypermarché X sont deux personnes morales bien distinctes, d’après les extraits Kbis produits en justice.
  • Dès lors que ces faits de vols avaient causé un préjudice à une autre personne morale que son employeur, ce dernier ne pouvait donc pas retenir un manquement aux obligations de son contrat de travail. Licenciement injustifié, donc.

En d’autres termes, les juges rappellent qu’un fait relevant de la vie personnelle ne peut ni justifier une sanction, ni constituer une cause de licenciement. Comme souvent dans le domaine du Droit, des exceptions existent à ce principe de protection de la vie personnelle…

Selon les circonstances, un employeur peut être autorisé à prononcer un licenciement disciplinaire :

  • Lorsque le comportement du salarié, sur son temps de vie personnelle, entraîne un manquement à une obligation de son contrat de travail. En pratique, il s’agit souvent d’une violation de l’obligation de loyauté ou de sécurité. Par exemple, un salarié exerçant des fonctions de direction chargé de la gestion des ressources humaines, viole son obligation de loyauté lorsqu’il dissimule une relation intime entretenue avec un représentant syndical de l’entreprise (Chambre sociale de la Cour de cassation, 29 mai 2024, n° 22-16.218). 
  • Lorsque les faits reprochés au salarié se rattachent à sa vie professionnelle ou à la vie de l’entreprise. Par exemple, lorsqu’ils impliquent d’autres salariés de l’entreprise (Cass. soc., 28 mars 2000, n°97-43.828 : En dehors de son temps de travail et en état d’ébriété, exercer des violences physiques à l’égard d’autres collègues au sein des locaux de son entreprise).

Mais ce rappel de principe par les juges d’Amiens est salutaire car, depuis quelques mois, les décisions rendues par la Cour de cassation engendrent quelques difficultés pour appréhender certaines procédures disciplinaires. Et c’est notamment le cas lorsqu’il est question de faire la distinction entre des faits relevant de la vie personnelle et ceux relevant de l’intimité de la vie privée du salarié. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce sujet à l’occasion de la sortie de notre prochain Zoom.