Le temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et les sites de son premier et dernier client peut être reconnu comme du temps de travail si certaines conditions sont remplies

Le 23 novembre dernier, la Cour de cassation a rendu un arrêt portant sur une thématique où coexistaient certaines divergences avec le droit européen : l’appréciation du temps de trajet des salariés itinérant.

Les juges français avaient estimé, dans un arrêt précédent de 2018, que ce temps de déplacement, notamment celui qui dépasse le temps normal de trajet ne pouvait pas être rémunéré en tant que temps de travail effectif et devait uniquement faire l’objet de la contrepartie sous forme de repos ou sous forme financière comme il est prévu à l’article L. 3121-4 du Code du travail (Cour de cassation, 30 mai 2018, nº 16-20.634).

Cette jurisprudence venant en contradiction avec la position européenne portée par la CJUE qui avait estimé, au regard de la directive 2003/88, que pour les salariés itinérants qui n’ont pas de lieu de travail fixe ou habituel, constitue du temps de travail le temps de déplacement consacré aux déplacements quotidiens entre leur domicile et les sites du premier et du dernier client désignés par leur employeur (CJUE, 10 septembre 2015, affaire C-266/14 « Federación de Servicios Privados del sindicato Comisiones obrera »).

Néanmoins, cet arrêt du 23 novembre 2022 opère un revirement de jurisprudence étant donné que les juges ont qualifié le temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et les sites de son premier et dernier client comme du temps de travail.

Attention, ces derniers ont également précisé que cette qualification en temps de travail effectif était soumise à certaines conditions cumulatives résidant dans le fait que le salarié itinérant se tenait à la disposition de l’employeur et devait se conformer, durant ce temps de déplacement, aux directives de son employeur sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles. En l’espèce, les faits qui démontrent que le salarié n’était pas libre de pouvoir vaquer à ses occupations personnelles étaient les suivants : « le salarié devait en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit mains libres intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d’appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, exerçait des fonctions de  »technico-commercial » itinérant, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise pour l’exercice de sa prestation de travail et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l’entreprise répartis sur sept départements du Grand Ouest éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à la fin d’une journée de déplacement professionnel, à réserver une chambre d’hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées ».

Dans une notice explicative jointe à l’arrêt, il est également précisé que ce sont les juges qui vérifieront que les conditions du temps de travail effectif sont réunies. Il faudra donc attendre qu’un autre arrêt soit publié sur cette question afin d’apprécier si la position prise lors de cet arrêt du 23 novembre 2022 est confirmée ou infirmée.

Cour de cassation, 23 novembre 2022, n° 20-21.924